L’or cristallisé en Belgique (Ardenne)

Bruno Van Eerdenbrugh

 

Depuis quelques années, de nombreuses découvertes d’or cristallisé en Ardenne m’ont donné l’idée d’y consacrer une attention particulière afin d’établir un recensement des formes et éventuellement d’établir des liens dans la genèse de ces petits trésors. De plus  Simon Philippo, conservateur pour la section géologie et minéralogie du Musée National d’Histoire Naturelle du Luxembourg (MNHL) a réalisé très volontiers des clichés et des analyses au microscope électronique à balayage  (MEB), et au microscope digital (MD)

Fig. 1 Octaèdre parfait. Bordure sud du Massif de Stavelot (Coll. et photo VEB.)


Pour comprendre le phénomène, il faut d’abord s’intéresser au modèle théorique du cristal d’or. Je ne suis pas très matheux et le motcristallographie m’a toujours donné des boutons, à fortiori lorsqu’on évoque des formules. Cependant, à force de regarder des ébauches d’octaèdre, de dodécaèdre ou des formes plus complexes, la curiosité l’emporte sur l’appréhension. De plus, le modèle théorique permet de donner du sens à ce que l’on observe. Afin d’être clair, j’emprunte ici les informations wikipedia :
Dans un cristal, les atomes d'or sont empilés selon une structure «cubique à faces centrées»
(CFC). Il est ainsi appelé parce que les nœuds (ici les boules) de son réseau sont situés :

Fig. 2 – Octaèdre et tétraèdre

* aux huit sommets d'un cube  
* au centre de chacune des faces de ce cube. Ce système cubique à faces centrées autorise également d’autres formes cristallines comme les tétraèdres (4 faces) et les octaèdres (8 faces). On peut également obtenir un dodécaèdre (12 faces) et un rhombododécaèdre (12 faces en losange, anciennement appelé « rhombe »).

Fig. 3 Le dodécaèdre à gauche et le rhombododécaèdre avec les faces en losange (rhombe) à droite.

 

Ces formes sont obtenues par troncature ou par « décroissement égal sur tous les sommets » ainsi formulé pour la première fois l’abbé Haüy, posant l’une des bases de la cristallographie. Nous verrons que beaucoup de ces formes théoriques se retrouvent dans la nature. 

L’or cristallisé est particulièrement rare à l’état naturel pour diverses raisons. Les deux principales étant que les conditions de cristallisation sont difficilement réunies dans les filons aurifères et la seconde est que l’or une fois de libéré de sa gangue par l’érosion subit une altération très forte à cause de sa malléabilité et les faces du cristal disparaissent rapidement. L’érosion d’un cristal peut être telle qu’il ne reste plus qu’un grain presque sphérique. En Belgique, un facteur de rareté supplémentaire est que l’or est très petit et les cristaux ne sautent pas aux yeux dans la batée. En fonction des ruisseaux, on trouve 1 grain plus ou moins cristallisé pour 500 à 1000, rarement 1 à 2 pour 100 et aucun dans certains cas. Il faut de la patience et un peu d’expérience pour les distinguer à la binoculaire. Les plus grands découverts ne font qu’un millimètre environ, la norme étant en dessous de 0.5 mm. C’est pour cette raison que je n’ai commencé à trouver plus fréquemment des cristaux que récemment. Avant je ne voyais que les formes évidentes et je n’avais pas l’œil exercé. Pour repérer un cristal, il faut retourner chaque grain avec le poil d’un cure-dent sur tous les côtés afin de voir le reflet d’une forme géométrique qui peut être une face. Attention cependant à ne pas voir des cristaux partout car le quartz peut laisser des empreintes très marquées dans les grains d’or avec des angles très nets. Ces angles sont plutôt imprimés en négatifs dans le grain. Je parle alors d’or d’aspect cristallin (cf fig. 4). 

Voici différents exemples de cristallisation d’or. Tous les grains proviennent de ruisseaux ardennais et ont donc subit une érosion, parfois très légère, parfois plus prononcée. La provenance exacte n’est pas signalée pour des raisons que vous comprendrez.

Figure 4, un grain d’or ou l’empreinte en négatif laissée par un cristal de quartz est nettement marquée. Sud de Neufchateau. (Coll. VEB et photo S. Philippo MNHNL)



Fig. 5 Bordure est du massif de Stavelot (Coll. VEB et Photo S. Philippo MNHNL).

Fig. 6 Bordure sud du massif de Stavelot (Coll. VEB et Photo S. Philippo MNHNL.)

Fig. 7 Octaèdre parfait (ML06, cf tableau d’analyse), bordure sud du massif de Stavelot
(Coll. VEB et Photo S. Philippo MNHNL).

Fig.8 Octaèdre tronqué (ML07 cf tableau d’analyse), bordure sud du massif de Stavelot.

Coll. VEB et photo S. Philippo MNHNL

Fig. 9 Dodécaèdre, Bordure sud-est du massif
de Stavelot (Coll. et photo VEB).

D’autres formes d’or plus particulières ont également été découvertes : 

Fig 10. Ruban d’or, à bords recourbés, terminé par un cristal. Bordure nord du massif de Rocroi.

Fig. 11 Or cristallisé « en fleur », face opposée du sommet d’un octaèdre, sud de Neufchâteau.

Fig. 12 Amas de Cristaux dodécaédriques, vue des deux côtés. sud de Neufchâteau.

(Coll. VEB et photo S. Philippo MNHNL).

 


Fig 13. Or ramifié d'origine bactérienne ?
Collection Jean Detaille et photo S.Philippo au MEB

Fig. 14 Même spécimen que figure 13 -  Photo R. Warin

 

(Coll. VEB et photo S. Philippo MHNL).

Simon Philippo (MNHNL) a également réalisé des analyses chimiques de certains des cristaux au microscope électronique à balayage (JEOL JCM-6000). Voici ci-après le dosage des éléments pour certains des cristaux photographiés. Le code pour chaque échantillon figure sous la légende des photos.

Ces résultats, sont semi-quantitatifs car ils ont été effectués avec un EDS sans standard et ramenés à 100% mais ils nous apprennent que l’or cristallisé dans cette zone (les deux échantillons viennent du même endroit) est fort pur et la teneur en argent ne semble pas assez significative pour avoir une influence sur la cristallisation. Par ailleurs, on notera des traces d’arsenic qui peuvent donner une indication sur l’association probable de l’or avec un sulfure dans le filon (arsénopyrite). Ces résultats sont toutefois à prendre avec précaution car l’or alluvionnaire subit parfois un lessivage chimique. Il y a un effet de ‘rimming’ (Bendall, 2003) avec une concentration de l’or dans la zone périphérique du grain. Pour avoir un résultat probant, il faudrait scier ou polir le grain et analyser le centre.

Un cas particulier :

les sphères parfaites

Fig. 15 Bille d’or dans une gangue d’origine anthropique. Bordure nord du massif de Givonne.

Coll. F. Champion et Photo S. Philippo

Fig. 16 Gros plan du coté supérieur –  Les micro-sphères d'or (en blanc) et les vacuoles dues aux dégagements gazeux sont bien visibles."

 

 

Ces deux sphères n’ont pas la morphologie cristalline. Cependant, elles méritent une place dans cet article en tant que forme particulière de l’or alluvionnaire en Belgique. Bien qu’il semble qu’il existe des sphères à l’état naturel comme c’est le cas dans la rivière Biaru en Papouasie Nouvelle-Guinée (Dilabio et al. 1988) ou que, parfois, certains cristaux dodécaédriques érodés peuvent prendre une forme pseudo-sphérique, dans ce cas-ci, nous avons affaire à des billes d’or d’origine anthropique.

Fig. 17 Sphère parfaite d'origine anthropique. Bordure nord du Massif de Givonne.
(Coll. VEB et photo S. Philippo MNHNL).

 

La découverte d’une sphère parfaite par Francis Champion en 2019 incluse dans un petit morceau de gangue a permis d’étayer solidement une hypothèse encore jamais évoquée pour la Belgique. En effet, la gangue de l’échantillon (cf fig.15) présente des vacuoles qui sont probablement dues à un dégagement gazeux et les analyses révèlent la présence d’aluminium, de magnésium et de potassium qui excluent le quartz naturel pour la matrice. On trouve également logées dans la gangue des sphères d’or encore plus petites d’environ 0.002mm (cf fig. 15). Tous ces indices font penser à un reliquat, tel du laitier, de fonte de minerai aurifère provenant d’un filon tout proche. Ces (micro-)sphères seraient donc le résidu de traitement de minerai aurifère à proximité du ruisseau où elles ont été découvertes. Ceci laisse espérer la confirmation prochaine de l’existence d’une toute nouvelle mine d’or antique en Belgique.

SOURCES 

Di Labio R.N.W., J.W. Newsome, D.F. mcivor, P.L. Lowenstein, 1988. The Spherical Form of Gold: Man-made or Secondary?. Economic Geology Vol. 83, pp. 153-162.

Bendall C., 2003. The application of trace element and isotopic analyses to the study of Celtic gold coins and their metal sources, Dissertation zur Erlangung der Doktorgrades des Naturwissenschaften, Johan-Wolgang Göethe Universität, Frankfurt. 

Remerciements chaleureux à Simon Philippo de la section géologie et minéralogie du Musée National d’Histoire Naturelle du Luxembourg (MNHL).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cristal