EPITAXIE ENTRE L’HEMATITE ET LE RUTILE.





Fig. 1 -épitaxie d’hématite sur rutile – Niveligsberg, Drees.
Base : 3 mm. Coll. Alain Robert © Eddy Van Der Mersche.



Quand on parle de l’épitaxie d’un minéral sur un autre, on pense souvent au cas classique dans lequel l’hôte est l’hématite Fe2O3 et le cristal invité, le rutile TiO2. Deux habitus caractérisent cet assemblage dans les Alpes ou au Brésil, par exemple. 

Le premier habitus présente des cristaux équidimensionnels (équants) de rutile sur l’hématite (Fig. 2), tandis que le second, plus fréquent, montre des cristaux aciculaires de rutile (Fig. 3) plantés sur des cristaux d’hématite. 

Il est logique que cet assemblage épitaxique existe car le titane accompagne souvent le fer. Comme le clarke du fer est plus grand (5,08 soit le 4e élément en abondance après l’oxygène, le silicium et l’aluminium) que celui du titane (0,57% ou 5700 g/t), il est tout à fait logique que la probabilité du couple épitaxique (quand il apparaît) corresponde à la cristallisation orientée secondaire du rutile sur l’hématite. Mais la situation inverse que nous avons mise en évidence pour la première fois, peut aussi exceptionnellement se produire.






Fig. 2 - épitaxie de rutile sur hématite – Les Grisons, Suisse. 
Coll. G. Cesàro - Lab. Minér ULG, Prof. F. Hatert © R. Warin.



En 1997, Alain Robert a découvert un nouvel assemblage épitaxique inconnu (Fig. 1) à Niveligsberg, Drees, Eifel. En fait, on ne peut qu’être interpellé par la vision d’un tel ensemble cristallin aussi étrange que beau, malgré sa très faible taille. Sur la photo réalisée par Eddy Van der Meersche, on observe en effet des lamelles d’hématite en très minces feuillets transparents rouges à jaune – brun, dressées sur le prisme du rutile. L’orientation relative de ces lamelles, disposées à 90 degrés l’une de l’autre, ne laisse aucun doute quant à la nature épitaxique de cet assemblage.

L’échantillon comporte deux prismes rougeâtres de rutile, maclés selon (031). Les cristaux isolés montrent la combinaison du prisme {100} dominant, associé aux facettes latérales du prisme {110} moins développé, ainsi qu’au quadroctaèdre {101}. Signalons que la macle (031) est relativement fréquente pour le rutile. 




Fig. 3 - Fines aiguilles de rutile en épitaxie sur hématite
Novo Horizonte, Bahia, Brésil – Coll. M.Tironi © R.Warin.



Le dessin (Fig. 4) de la macle (031) du rutile illustre la morphologie observée du cristal hôte à Niveligsberg, Dress, Eifel. Un autre échantillon avait été également trouvé à Wannenköpfe, Ochtendung, Eifel. L’autre dessin illustre l’un de ces prismes tétragonaux porteurs de lamelles d’hématite. Celles-ci sont dressées verticalement sur la pyramide terminant le prisme de rutile (quelle que soit la face), formant ainsi un assemblage épitaxique inédit. Les plaquettes d’hématite sont parallèles aux faces dominantes des prismes de rutile, et deux groupes de plaquettes sont observés, forment entre eux un angle de 90°. Ces deux orientations sont contraintes par l’axe quaternaire du rutile, dont les rangées [100] sont parallèles aux axes ternaires des lamelles d’hématite. Dans l’épitaxie rutile sur hématite, décrite ci-dessus, trois orientations des aiguilles de rutile sont possibles, car c’est ici l’axe ternaire de l’hématite qui impose sa symétrie à l’assemblage. 




Fig. 4 – Modèles de l’épitaxie d’hématite sur rutile 
et de la macle (031) du rutile de Niveligsberg.

 



Fig. 5 – Lamelle d’hématite en épitaxie sur la pyramide ({101} du rutile
 (microscope électronique à balayage © R. Cloots).



Fig. 6 – Lamelle d’hématite en épitaxie sur le sommet d’un cristal de rutile de Niveligsberg, Drees, Eiffel. 
Image au microscope électronique à balayage, 
mode électrons secondaires. © Rudi Cloots



L’hématite forme des lamelles caractérisées par le pinacoïde {0001} dominant. Les faces latérales sont trop petites que pour pouvoir être indexées au microscope optique; toutefois, l’examen au microscope électronique à balayage nous autorise à proposer le rhomboèdre {101}. Signalons également que la composition chimique qualitative des deux minéraux a été vérifiée grâce à un spectromètre EDS (« Energy Dispersive X-ray Spetrometry ») : Ti et O dominent dans le rutile et Fe et O dans l’hématite, ce qui confirme l’identification.

Le phénomène d’épitaxie suppose l’existence de compatibilités à un certain degré entre les divers réseaux cristallins. Il est aussi indispensable que des liens de cohésion s’établissent entre les atomes de l’interphase. Puisque l’épitaxie du rutile sur hématite est fréquente et bien connue, pour quelle raison ne pourrait-il pas y avoir la situation inverse, à savoir une implantation régulière d’hématite sur rutile selon les lois de l’épitaxie? Cette situation inverse est évidemment possible, mais elle reste peu probable car dans la plupart des gisements, le fer est dominant par rapport au titane. L’observation de cette épitaxie à Niveligsberg nous indique donc un contexte géochimique particulièrement enrichi en Ti (roches volcaniques). 




Fig. 7 – Schéma montrant la relation entre les réseaux du rutile et de l’hématite dans un assemblage épitaxique. 
Les nœuds du rutile sont en jaune, et ceux de l’hématite en rouge. 
Les ellipses rouges soulignent les coïncidences approximatives entre les nœuds des deux espèces. © F. Hatert.



Les relations entre les réseaux du rutile et de l’hématite, dans l’assemblage épitaxique que nous décrivons ici, peuvent s’expliquer de la même manière que dans l’assemblage habituel. Comme le montre la figure ci-contre, lorsque les axes cristallographiques « a » du rutile et de l’hématite sont parallèles, il existe une maille triple du rutile pour laquelle les nœuds sont en concordance approximative avec des nœuds de l’hématite (hématite : a = 5,30 et c = 13,75 Å; rutile : a = 4,59 et c = 2,96 Å). Cette figure (Fig. 7) peut être comparée à celle publiée par Royer (1928), qui utilisait toutefois des valeurs de paramètres cristallographiques anciennes et imprécises.

Signalons enfin que des photos d’une épitaxie similaire ont été publiées voilà une dizaine d’années dans Le Règne Minéral (Bayle, 2005). Ces échantillons spectaculaires et très rares proviennent de la région centrale de la Grande Île de Madagascar; ils montrent des prismes de rutile surmontés de grandes tablettes d’hématite.






Fig. 8 – épitaxie d’hématite sur rutile Tétikana, Ambatofinandrahana, 
Province de Fianarantsoa, Madagascar. © R. Warin.


Référence : Un assemblage épitaxique d’hématite sur rutile – Roger Warin, Alain Robert, Frédéric Hatert et Rudi Cloots – Le Règne Minéral, N° 124 juillet-août 2015.

Roger Warin & Frédéric Hatert.