TISSINT Olivine-Shergottite

Une météorite martienne bien expressive.



Fig. 1 - Tissint – Shergottite Olivine-phyrique XPL – FOV : 3 mm. © R.Warin .



La météorite de Tissint (chute le 18 juillet 2011 à l’Est de Tata au Maroc – environ 7 kg de pierres récoltées) est une shergottite du type olivine-phyrique (également définie comme shergottite picritique). Cela signifie que de la proportion d’olivine y est plus importante que dans une shergottite basaltique, telle celle de Zagami, qui contient surtout des pyroxènes. La matrice de Tissint est constituée de petits cristaux de pyroxènes zonés, de chromite, de magnétite, d’ilménite, de pyrrhotite avec un peu de merrilite, et de plagioclase sous la forme de maskelynite. Dans cette matrice on trouve des macro-cristaux d’olivine (phénocristaux jusqu’à 1,5 mm) et de plus petits phénocristaux distincts d’olivine (jusqu’à 0,4 mm) (Fig. 1 – Largeur du champ : 3 mm). 

En lumière polarisée croisée (XPL), les phénocristaux d’olivine apparaissent très colorés. Le tapis de mini-cristaux de pyroxènes est plus terne. Les spinelles comme la chromite ou la magnétite sont opaques (et donc noirs en lumière transmise) ; les sulfures le sont également. Les phases vitreuses, microcristallines ou amorphes sont noires en XPL.

Le cœur des gros phénocristaux d’olivine contient moins de fer (Fayalite environ 20%) que les petits phénocristaux d’olivine (Fayalite environ 30%). Sous une lumière polarisée croisée (XPL), ces grains d’olivine prennent des teintes vives, de second ordre et même du début du 3e ordre. Ce déplacement vers les ordres supérieurs est une conséquence des ondes de chocs subies lors de l’impact éjecteur. Même en simple lumière polarisée blanche transmise (PPL), l’épaisseur (0,030 mm) de la lame est suffisante pour déceler une légère coloration naturelle du cristal.






Fig. 2 – Une veine de verre choqué noir enrobe ce grain d’olivine (PPL). 
Tissint Olivine Shergottite PPL FOV: 1,2 mm © R. Warin.



La phase plagioclase a une proportion d’environ 60-65 % d’anorthite (le complément étant de l’albite). Un peu d’orthose (5%) complète la composition des feldspaths. Quand ceux-ci sont très choqués, ils subissent une fusion. En effet, les météorites martiennes ont nécessité une force d’extraction très grande, nécessitant des impacts de très forte violence pour vaincre la gravité de la planète Mars. Sous de telles pressions des ondes de chocs (400.000 à 600.000 bars), les grains de feldspaths de la roche martienne originale subissent une transformation en maskelynite, et cela à l’état solide sans passer par la fusion. 

La présence de maskelynite est donc un indicateur de chocs subis par une roche météoritique (mais celle-ci peut être aussi terrestre, dans un cratère d’impact). Ce critère s’ajoute aux autres déformations des réseaux cristallins.

Sous la lumière polarisée croisée (XPL en anglais, pour lumière polarisée analysée), la maskelynite apparaît noire, tandis qu’en lumière polarisée non analysée (PPL, c.à.d. en lumière non analysée), elle est blanc-crème, se différentiant ainsi des autres grains opaques en PPL (Fig. 8). 

Mais à côté de la maskelynite omniprésente dans les shergottites, il existe des veines vitreuses noires (Fig. 2) et de petites poches de verre fondu également produites par les chocs (Fig. 3). Sur Terre, les impacts de grosses météorites induisent localement une fusion instantanée des roches pour former un verre qui est incorporé dans des suévites. Ce verre se refroidit lentement et se solidifie en une nouvelle roche dénommée impact-melt. Si des fragments de la roche cible sont incorporés, la roche devient une brèche fondue d’impact (impact melt breccia). Ces considérations méritent d’être explicitées. Toutes les météorites martiennes sont des impactites. Les phases vitreuses, amorphes par définition, sont de plusieurs types. A ce stade de la discussion, il convient de mieux décrire les différents verres que l’on trouve dans la météorite tombée à Tissint. 

LES VERRES DANS LES METEORITES MARTIENNES.

Les météorites martiennes sont toutes très choquées. Leur éjection a été brutale. à cause de la gravité qui règne sur Mars, il n’y aurait eu au total que moins d’une douzaine d’éjections efficaces. C’est relativement peu mais la force de l’impact doit être exceptionnelle pour qu’il y ait éjection en vainquant la pesanteur locale. Un impact tangentiel est plus favorable. Les zones envisagées pourraient être Tharsis et Elysium-Amazonis.





Fig. 3 – Tissint - Olivine Shergottite. Lumière polarisée croisée.
Un gros grain d’olivine et une poche vitreuse (noire). FOV : 1,2 mm. © R.Warin.



Alors que la plupart des minéraux résistent aux impacts, aux dépens parfois d’un changement de phase, les feldspaths calciques (plagioclases) sont plus sensibles aux chocs et peuvent subir une fusion. Leurs compositions variables en sont aussi la cause. En effet, ces minéraux de compositions variées recristallisent difficilement par après. Les pressions peuvent être vraiment énormes (> 250 000 bars). 





Fig. 4 - Tissint- Olivine Shergottite. Même plage sans analyseur croisé.


La tache noire de la figure précédente est une poche fondue. 
Sa texture montre un fluide figé.
Les taches blanches dans la matrice sont de la maskelynite. Les taches noires peuvent être des sulfures ou des oxydes (spinelles dont la chromite). 
à noter qu’en lumière non analysée, une phase vitreuse peut avoir une transparence ambrée, ou bien être blanche opaque comme la maskelynite, 
ou noire comme des veines de choc noires. A droite, une petite poche fondue, avec un peu de maskelynite. FOV : 1,2 mm © R. Warin.





Fig. 5 - Cet agrandissement montre les bulles incluses de l’atmosphère martienne 
(95% CO2). Champ de la vue : ~ 0,6 mm. 
Sur le bord supérieur droit, on aperçoit que des microcristaux ont eu le temps de croître dans la le verre fondu. © R. Warin.



D’une manière générale, les ondes de choc détruisent les textures de la roche en fonction des compositions des composantes et des pressions. Pour les pressions les moins intenses (~ 5 GPa), on peut obtenir des Shatter cones comme ceux trouvés dans les cratères d’impact terrestres. 
Des chocs plus intenses (~ 10 à 30 GPa) déforment les réseaux cristallins des silicates en produisant des PDF’s (Planar deformation features) du quartz (sur Terre) et des feldspaths essentiellement. Dans ce cas, certains grains d’olivine les présentent (Fig. 6).





Fig. 6 – Tissint – Déformations planaires PDF’s. FOV : 0,3 mm © R. Warin.



Les déformations réticulaires dites PDF’s (Planar deformation features) consistent en des ensembles de plans parallèles très étroits constitués d’un matériau vitreux spécifiquement orientés en fonction des plans réticulaires du cristal (Fig. 6). Sur Terre, ils permettent de caractériser un cratère d’impact. 

De 40 à 50 GPa, les verres diaplectiques sont produits. Ainsi, d’autres transitions vitreuses bien étranges sont également possibles à l’état solide sous des pressions voisines de 50 GPa : on parle alors de verres diaplectiques. La transition entre les deux phases solide-verre ne passe pas par la fusion.
L’adjectif diaplectique trouve son étymologie dans le grec ancien et il signifie que le réseau cristallin a été détruit par cisaillement du réseau. 

Ensuite apparaissent les impact-melts, c’est-à-dire des verres de fusion par impact. C’est bien ce qui est observé sous de très hautes pressions qui peuvent dépasser > 500 000 bars. Toutes ces phases vitreuses sont tellement visqueuses à température ordinaire qu’elles sont solides, figées à jamais jusqu’à la prochaine fusion par la chaleur.

Sur Mars, le refroidissement rapide (quenching) interdit des évolutions intermédiaires. Le verre feldspathique obtenu dans ces conditions, s’appelle maskelynite.

Atmosphère martienne. L’intérêt de ces phases vitreuses (impact-melts) réside dans le fait qu’elles ont piégé l’atmosphère martienne, visibles en particulier par la présence de microbulles enfouies dans la roche. Des chromatographes en phase gazeuse associés à des spectromètres de masse de haute précision (1/10000) en permettent l’analyse. Ainsi, l’atmosphère martienne est composée à 95 % de CO2. Cette analyse constitue d’ailleurs l’une des confirmations de l’origine martienne de Tissint.






Fig. 7 - Vue typique de Tissint en lumière polarisée croisée à 90°. FOV : 0,6 mm.



L’olivine est fortement colorée (début du 3e ordre), les pyroxènes le sont moins. Les taches noires sont dues soit à l’opacité du grain (sulfures, phosphures,…), soit à du verre soit à de la maskelynite et aussi aux minéraux en extinction optique. © R. Warin.





Fig. 8- Même vue en lumière non analysée (sans 2e polariseur). © R. Warin.



Le hasard de l’examen d’une lame mince, car l’échantillon de roche est petit (1 ou 2 cm² sur une épaisseur de 0,030 mm), permet la mise en évidence des ces trois phases vitreuses : la maskelynite, le verre fondu par impact et les veines de verre noir choqué. D’un point de vue physique, ces phases ne sont pas cristallines, mais amorphes. 

Référence : John Kashuba, Oregon, que je remercie : 


http://www.meteorite-times.com/micro-visions/tissint-martian-meteorite/



Roger WARIN.