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Avec la disparition du professeur Georges Ubaghs, le 31 janvier 2005 à Liège (Belgique), la communauté paléontologique a perdu l'un des plus éminents spécialistes d'échinodermes (notamment paléozoïques) du XXème siècle. Parmi ses contributions les plus importantes, signalons sa participation majeure au Traité de Paléontologie (1953) et au Treatise on Invertebrate Paleontology (1966-1978), dont il est l'auteur de, respectivement, 54% (199 pages sur 371) et 22% (516 pages sur 2372) des chapitres dédiés aux échinodermes. Au-delà du grand scientifique, tous ceux qui ont connu l'homme peuvent témoigner de son extrême courtoisie, de sa gentillesse, sa modestie, sa discrétion et de sa grande ouverture d'esprit. C'est donc à ce double titre, scientifique et humain, que la communauté échinodermologiste se retrouve aujourd'hui en quelque sorte orpheline.

Georges, Jean, Charles Ubaghs est né à Angleur (Liège, Belgique) le 29 février 1916. Après de brillantes études à l'Université de Liège, Georges Ubaghs y décroche en 1939 un titre de Docteur en Sciences Zoologiques. N'ayant pas encore effectué son service militaire lorsque la seconde guerre mondiale éclate, Georges Ubaghs n'est pas mobilisé et il ne prend donc pas part aux combats de mai 1940 qui ravagent alors la Belgique. Bien que ses premiers travaux portent sur des graptolites dendroïdes du Carbonifère inférieur de Belgique (Ubaghs 1941), il s'oriente très rapidement vers l'étude des échinodermes et plus particulièrement des crinoïdes paléozoïques. Pendant l'occupation, il rédige ainsi sa première note dédiée aux échinodermes (anatomie et systématique de Mespilocrinus, un crinoïde du Carbonifère inférieur de Belgique; Ubaghs 1943a) et il participe également à différents articles de géologie régionale (Famennien des environs de Liège; Ubaghs 1943b; Ancion et al. 1943a, 1943b; Fourmarier et al., 1945).

A la libération (1945), Georges Ubaghs est nommé professeur de paléontologie à l'Université de Liège, suite à l'arrestation pour conduite incivique (collaboration) pendant la guerre de Charles Fraipont, qui avait occupé ce poste jusqu'alors. De 1945 à la fin des années 1950, Georges Ubaghs va mener de front des recherches dans deux domaines distincts. Il va tout d'abord poursuivre ses travaux sur les crinoïdes paléozoïques, avec une dizaine d'articles de référence portant sur différentes formes du Dévonien de Belgique (Ubaghs 1945a, 1945b, 1947), de France (environs d'Angers; Ubaghs 1950; Erben et al. 1959), d'Allemagne (Ubaghs 1952) et de Bohême (Ubaghs & Boucek 1962) et enfin, du Silurien de Gotland (Ubaghs 1956a, 1956b, 1958a) et d'Allemagne (Ubaghs 1958b). Ces travaux sont tout à fait remarquables par la qualité et la précision des observations et le soin tout particulier apporté à l'iconographie (dessins à la chambre claire et reconstitutions, notamment). Ces articles permettent en tout cas à Georges Ubaghs de s'affirmer, très rapidement, comme l'un des meilleurs spécialistes de crinoïdes paléozoïques. C'est donc fort logiquement qu'il se voit confier par Jean Piveteau la rédaction du chapitre sur les crinoïdes, dans le tome III du Traité de Paléontologie (Ubaghs 1953a). Cet ouvrage est également l'occasion pour Georges Ubaghs d'élargir son champ d'investigation à trois autres classes d'échinodermes, avec la rédaction des chapitres portant sur les stelléroïdes (étoiles de mer et ophiures; Ubaghs 1953b) et les ophiocistioïdes (échinodermes paléozoïques apparentés aux holothuries et aux oursins; Ubaghs 1953c). Au cours des années 1950, Georges Ubaghs va également travailler pendant huit ans sur un tout autre projet : les foraminifères provenant de sondages effectués en Angola (stratigraphie) pour Pétrofina (actuellement Total). Ses travaux pour les pétroliers n'ont donné lieu à aucune publication.

L'année 1959 marque un tournant décisif dans la carrière de Georges Ubaghs. En effet, il entreprend alors l'étude des faunes d'échinodermes "carpoïdes" (formes aplaties, sans symétrie cinq) de l'Ordovicien inférieur de la Montagne Noire. La qualité de la préservation de ce matériel (concrétions silico-alumineuses) et la mise au point d'une nouvelle technique de moulage (utilisation de latex) lui permettent de réaliser des observations jusqu'alors inédites et de proposer de nouvelles interprétations de l'anatomie de ces organismes. Il démontre ainsi que, contrairement à ce qui était admis jusqu'alors, Lingulocystis et Rhipidocystis ne sont pas des "carpoïdes" mais des éocrinoïdes (Ubaghs 1960). Par la suite, confronté à la morphologie atypique des stylophores, il décrit tout d'abord de manière "traditionnelle" le mitrate Chinianocarpos thorali (Ubaghs 1961a). Cependant, peu après, de nouvelles observations réalisées sur le cornute Phyllocystis blayaci et sa parfaite connaissance de l'anatomie des crinoïdes et des "stelleroïdes" le conduisent à proposer une interprétation totalement inédite de l'appendice articulé des stylophores (Ubaghs 1961b). Il démontre, en effet, que celui-ci ne représente pas une tige pourvue de columnales, mais qu'il correspond à une structure nourricière portant une gouttière ambulacraire unique et des plaques de couverture mobiles: l'aulacophore. La description de cornutes et de solutes du Cambrien supérieur du Nevada lui permet ensuite de démontrer que les appendices articulés de ces deux groupes de "carpoïdes" ne sont pas homologues (Ubaghs 1963a).

Suite à ces découvertes, les travaux de Georges Ubaghs vont désormais porter quasi-exclusivement sur les échinodermes du Cambro-Ordovicien (Ubaghs 1971b, 1975), dont il devient rapidement l'un des meilleurs spécialistes. Ainsi, au cours des années 1960-1970, il rédige de nombreux articles de référence sur l'anatomie et la systématique des éocrinoïdes (Ubaghs 1963b, 1972b; Colchen & Ubaghs 1970), des "carpoïdes" (Ubaghs 1967a, 1969b, 1979, 1981a) et des crinoïdes primitifs (Ubaghs 1969a, 1971a, 1972a). Néanmoins, durant ces mêmes années, l'essentiel de son énergie est consacrée au Treatise on Invertebrate Paleontology, dont il rédige de nombreux chapitres dans chacun des trois volumes consacrés aux échinodermes (Moore et al. 1968). Il se voit ainsi confier, entre autre, la rédaction des chapitres portant sur les ophiocistioïdes (tome U; Ubaghs 1966), les caractères généraux des échinodermes, les éocrinoïdes, les stylophores, les cinctas et les "haplozoaires" (tome S; Ubaghs 1967b, 1967c, 1967d, 1967e, 1967f), et enfin la morphologie du squelette et l'origine des crinoïdes, les Camerata et la classification des échinodermes (tome T; Ubaghs 1978a, 1978b, 1978c, 1978d, 1978e; Moore et al. 1978). Cette contribution majeure à la rédaction du Treatise on Invertebrate Paleontology représente de toute évidence le point d'orgue de la carrière scientifique de Georges Ubaghs. Elle lui permet de diffuser largement ses nouvelles interprétations de l'anatomie des différents groupes de "carpoïdes", mais également d'autres découvertes tout aussi fondamentales, comme par exemple la mise en évidence de la différence entre "bras" (e.g. de crinoïdes) et "brachioles" (e.g. de blastoïdes, cystoïdes ou éocrinoïdes; Ubaghs 1978b; Breimer & Ubaghs 1974).

A son départ en retraite en 1984, Georges Ubaghs devient professeur honoraire à l'Université de Liège et, libéré des enseignements et de la rédaction du Treatise on Invertebrate Paleontology, il peut désormais se consacrer pleinement à la poursuite de ses travaux sur les échinodermes du Paléozoïque inférieur. Deux collaborations particulièrement fructueuses vont alimenter sa production scientifique au cours des années 1980-1990. La première, avec R. Robison, lui permet de décrire des faunes tout à fait remarquables de "carpoïdes" (solutes, stylophores) et d'éocrinoïdes du Cambrien moyen de l'Utah (Ubaghs & Robison 1985, 1988). La seconde, sous l'impulsion dynamique de D. Vizcaïno, lui offre l'opportunité de poursuivre ses travaux sur les éocrinoïdes et les stylophores du Cambro-Ordovicien de la Montagne Noire (Courtessole et al., 1983; Ubaghs 1987, 1991, 1994, 1998), mais aussi d'Espagne (Ubaghs & Vizcaïno 1990). Néanmoins, fortement affecté par la disparition de son épouse en mars 1999, il ne lui survit que cinq ans pour s'éteindre paisiblement le 31 janvier 2005 à Liège.

La contribution de Georges Ubaghs à la connaissance des échinodermes (et en particulier des crinoïdes, des éocrinoïdes et des différents "carpoïdes") est inestimable. La qualité exceptionnelle de ses travaux a été récompensée par différentes distinctions: ainsi, Georges Ubaghs était notamment Membre de l'Académie Royale de Belgique et Commandeur de l'Ordre de la Couronne. Sa disparition laisse un vide d'autant plus grand qu'il n'a formé aucun étudiant à Liège dans le domaine des échinodermes.

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* Page extraite de l’Annuaire du corps enseignant et du personnel scientifique

Edition de l’Université 1967

* JJS le 11-11-2005 Références supplémentaires