INDICES 

En contraste avec toute une série de minéraux colorés dont le pouvoir de séduction sur les amateurs est reconnu de tous, voici un cristal de couleur gris plomb. Autant le dire de suite, la question de ce mois est très difficile. Espérons qu’elle titillera la curiosité des fins connaisseurs et ouvrira la fenêtre sur un autre type de collection.

Ce bel échantillon doit son attrait visuel à ses formes pures. C’est un cristal idiomorphe de l’espèce, qui est très rare (vraiment). La couleur du trait est gris plomb à gris bleuté. Il est caractérisé par une densité élevée, même si la taille centimétrique de l’échantillon ne permet pas de l’estimer facilement.

Tout comme le péridot (olivine), partagé entre la fayalite et la forstérite, cette espèce est intimement corrélée à un autre minéral avec lequel il forme un domaine de solutions solides.

La localité d’origine est comme souvent dans ce jeu, un très grand lieu classique. La connaissance de celle-ci autorise la déduction de l’identité du minéral, et réciproquement. C’est à ce moment que les forts en thème seront favorisés…

 

REPONSE

NOM :          Géocronite.

 

Formule : Pb14 (Sb,As)6 S23 

Ou plus précis:   Pb28 As4+x Sb8-x S46 avec 0 £ x £ 8.

 

Plus de 100 espèces minéralogiques appartiennent à la classe des sulfosels. En fait, deux éléments se disputent une interaction dans les structures des sulfosels, ce sont l’antimoine Sb et l’arsenic As, alors qu’un troisième, le bismuth Bi, un peu trop « métallique », intervient moins.

Une fois de plus, la Chimie de la Matière a permis à la Nature de jouer dans un registre très large, alors que dans d’autres circonstances, son degré de liberté était des plus restreints avec comme conséquence une faible différenciation des minéraux.

 

Bien que multiples, ces sulfosels sont la plupart du temps d’importance mineure. Ils se trouvent associés dans des veines de nature hydrothermale à des sulfures plus communs. Ils contiennent souvent comme cations, du plomb, de l’argent, du cuivre, de l’étain, du thallium… mais ils ne constituent que très rarement une source de minerais du métal correspondant.

 

La géocronite est l’analogue antimonieux de la jordanite Pb28As12S46. Alors que la jordanite est le terme d’une solution solide l’unissant à la géocronite, le terme opposé (sans As) de ces deux sulfosels ne semble pas exister. Les diverses analyses de multiples échantillons d’origine diverses analysés sont compatibles avec la formule générale de la géocronite :

Pb26-30 (As, Sb)12-14 S46-48.

Le rapport As / (As + Sb) caractérise cette série [1]. Ce rapport vaut 1 pour la jordanite et 0,31 pour la géocronite. Par comparaison avec la jordanite, on peut proposer pour la géocronite la formule  Pb28 As4+x Sb8-x S46 avec 0 £ x £ 8

Il apparaît aussi que la géocronite caractérisée par une teneur en Sb plus riche que celle correspondant au rapport As / (As + Sb) = 0,33 serait instable. Ceci serait directement corrélé à la structure de la géocronite dans laquelle seuls certains sites accepteraient les atomes Sb (degré de liberté suffisant sans « compression » des S.

En conclusion, de formule Pb28 As4+x Sb8-x S46 avec 0 £ x £ 8, la géocronite est l’analogue isostructural porteur de Sb de la jordanite Pb28As12S46. Trois des quatre sites « semi-métal » de la jordanite peuvent se dilater pour tolérer la présence de 8 atomes Sb dans la structure de la géocronite. Un site As ne pourrait pas se déformer pour accepter la substitution de As par Sb plus encombrant. Ce fait limite le domaine de la solution solide entre la jordanite et la géocronite, dont les deux termes sont d’une part la jordanite (uniquement As) et d’autre part la géocronite limitée au rapport As / (As + Sb) = 0,33. Cette conclusion théorique, basée sur l’étude des structures cristallines, est en bonne corrélation avec les analyses des géocronites naturelles [1].

 

 

 Localité : Turtschi, Binnenthal, Valais (CH).  

La carrière de Lengenbach, déjà connue au début du 18e siècle pour ses minéraux rares (on y a recherché le plomb), a produit une soixantaine d’espèces différentes. Parmi celles-ci, les plus intéressantes sont les sulfosels. Une dizaine de ces sulfosels n’ont jamais été trouvés ailleurs.  La dernière à avoir été déterminée est la sicherite, un sulfosel (As, Sb) de thallium et d’argent. Stefan GRAESER (et all.) l’a récemment identifiée [2]. Ce scientifique étudie cette carrière depuis plus de 40 ans.  

La formule générale des sulfosels peut être assimilée à Mex (As,Sb,Bi)y S2 où Me représente des cations métalliques variés, comme pour Lengenbach : Pb, Cu, Ag, Tl, Fe, etc. Parmi ces derniers éléments chimiques, seul As a une présence importante à Lengenbach, où Sb a une influence nettement moindre et Bi semble totalement absent. Mais à peu de km de là, à Turtschi, entre Giessen et Binn, l’importance des sulfosels-Sb augmente (géocronite, bournonite, boulangérite, tétraédrite) et même Bi est présent (giessenite, dont c’est la seule origine, localité-type). Quand on s’écarte de Lengenbach, on observe les caractéristiques suivantes :

a)     une plus faible teneur en As et Sb dans l’ensemble ;

b)    les minéraux ont tendance à former des solutions solides As-Sb.

Cette tendance a ainsi été trouvée dans les autres affleurements de la roche dolomitique avoisinant Lengenbach. 

BIBLIOGRAPHIE :

[1] The Crystal structure and extent of solid solution of geocronite, by Richard W. BIRNIE and Charles W. BURNHAM, Am. Mineral. 61, 963-970 (1976).

[2] Stefan Graeser, Amer. Mineral. 86, 1087-1093 (2001). 

Roger WARIN.